Accouchements à hauts risques !

Dans notre pays, les cas de décès ou de séquelles graves lors de l’accouchement sont nombreux et font de plus en plus réagir. Mais il faut aussi parler des traitements dégradants auxquels sont trop souvent soumises les femmes dans les maternités : de la violence verbale à la pure maltraitance, l’accouchement au Mali n’est pas un long fleuve tranquille.

Nouvelle maman, Fatou Diaby, la vingtaine, dévore du regard son bébé. Ce bébé, son premier enfant, est une source de joie indescriptible selon ses dires. Cette joie aurait pu tourner au drame. Dans le témoignage détaillé qu’elle apporte (ci-dessous), la sage-femme qui s’est occupée d’elle à l’hôpital s’est comportée de manière désinvolte et tyrannique, au point de mettre sa vie en danger. N’eût été l’intervention providentielle d’un médecin qui a pris sur lui de la mener au bloc opératoire, malgré les protestations. « On n’en a rien à foutre… » entendra-t-elle clamer par une soignante qui se comporte en tortionnaire.

Fatou, inconsciente, accouchera par césarienne à 18h et reviendra à elle à 22h. Sa sœur lui confiera par la suite qu’elle l’avait crue morte en couches.

Tout comme Fatou Diaby, Mariam Diabaté, 32 ans, témoigne : « Quand j’ai accouché, des sages-femmes m’ont demandé de « fermer ma gueule » alors que je ressentais des douleurs indescriptibles. Il n’y avait aucune compassion en elles », dit Mariam avec amertume. Elle se souvient que dans tout le centre médical « les injures les plus horribles fusaient à l’encontre des futures mères. »

Un centre médical de Lafiabougou est devenu tristement célèbre pour les écarts de langage des sages-femmes. Au cours de notre reportage, plusieurs l’ont mentionné. « J’accompagnais pour la première fois ma belle-sœur dans ledit centre de santé. Dès la porte d’entrée, ce sont des cris stridents à glacer le sang » confie Christiane Tessougué. Sa collègue, Mariam Dicko, acquiesce gravement : une connaissance et son nouveau-né y ont perdu la vie par négligence, déplore-t-elle.

Le désespoir des aides ménagères

Le traitement des patientes est fonction de leur statut social. Tout au bas de l’échelle, il y a le cas des filles de ménages, venues du monde rural. Maimouna Sidibé, 22 ans, est originaire de Kadiolo (Sikasso). Tombée enceinte à 20 ans, elle passera toute sa grossesse sans suivi médical. « Je me suis présentée au centre de santé pour l’accouchement accompagnée d’une amie. Quand les sage-femmes ont su que je n’avais fait aucune visite prénatale, elles ont égrené un chapelet d’injures, les unes plus violentes que les autres » confie-t-elle. Malgré son état, elles ont traîné les pieds pour la prendre en charge. Une fois dans la salle d’accouchement, Maimouna, à bout de force, chétive et faible, peinait à pousser. Plus la douleur augmente, plus les cris et les larmes s’intensifient. L’une des sages-femmes lui lance : « quand tu prenais ton pied tu ne pleurais pas, ce n’est pas ici que tu jacasseras ! Tu as intérêt à pousser, sinon tu tueras ton enfant ». Ou encore : « tu n’es pas la première femme sur terre à enfanter, donc tais-toi et pousses ». « Je me suis sentie humilié, salie et souillée par leur propos » dit-elle.

Un centre de santé à Bamako (attention : cette image est sans rapport avec les critiques rapportées dans cet article)

Aide-ménagère comme Maimouna, Awa Diarra, la trentaine, estime que les sages-femmes leur en veulent, car la majorité de ces jeunes filles ne font pas de visite prénatale. « Vouloir nous humilier ou nous punir est déplacé. D’où nous venons, il n’y a pas de maternité ! Les femmes accouchent à domicile. Nous découvrons les centres de santé dans les grandes villes », dit Awa.

Toutes les patientes ne réagissent pas de la même manière. Si elles sont en position de faiblesse lors de l’accouchement, il est arrivé que certaines, après avoir récupéré leurs forces, reviennent en découdre avec les sages-femmes. C’est ce dont témoigne Assitan Berthé : « une dame, grosse et grande, est venue se battre avec les sages-femmes qui avaient eu de tels écarts de langage pendant son accouchement. Elle a copieusement battu trois d’entre elles avant qu’on ne la maîtrise ! »

Le combat de l’association « La vie est Sacrée »

Ina Tall, chargée de communication de l’association « La vie est sacrée »

Une association s’est levée pour sensibiliser les gens contre ce phénomène de maltraitance dans le domaine médical, qui est souvent verbale, mais peut déraper vers la mise en danger. Le but de « La Vie est Sacrée » est de donner une voix à toutes les femmes victimes. L’association dénonce les violences obstétricales, les mortalités néonatales et maternelles dues aux mauvaises pratiques médicales. Au décès de la journaliste Awa Séméga en couche, le 30 mai 2021, le mouvement a lancé le hashtag #balancetongynéco, qui a rencontré un franc succès. S’en est suivi le lancement du mouvement ‘‘La vie est Sacrée’’.

« Rien qu’en parler est thérapeutique. Après quelques passages sur des plateaux de télévision, on a été submergé de témoignages », estime Ina Tall, chargée de communication de ‘‘La Vie est Sacrée’’. Comme de nombreuses autres femmes, Fatou Diaby (v. ci-dessous) dira s’être sentie libérée après avoir raconté sa mésaventure sur les plateaux de télévisions. Son passage dans une émission de Yeta TV a déclenché d’autres prises de parole.  En revanche, certaines sages-femmes ont répliqué avec virulence sur les réseaux sociaux pour défendre leurs collègues, traitant Fatou de calomnieuse.

Porter plainte

Au Mali, il n’est pas dans la culture de porter plainte ou de protester auprès des instances supérieures. C’est l’exemple de Fatou Diaby, dont la sœur (qui l’avait accompagnée lors de l’accouchement), l’époux et d’autres membres de la famille lui ont demandé de ne pas porter plainte. « Tu es sortie vivante de cette épreuve. Laisse tout entre les mains de Dieu » lui a-t-on dit. Et elle reconnaît que « la joie, l’euphorie, l’ambiance festive autour de soi à l’arrivée du nouveau membre de la famille font oublier l’idée même de porter plainte ».

Pour Ina Tall, porter plainte ne servirait à rien : « Six femmes ont dit avoir subi des attouchements par un même gynécologue. Pourtant si on le signale à l’ordre des médecins tout comme à la police, ceux-ci exigent des preuves. C’est ta parole contre celle du médecin ou des sages-femmes. Ça passe ainsi aux oubliettes ». Au Mali, la misogynie ambiante, le patriarcat et la toute-puissance du médecin laissent peu de chances d’être entendue. A titre d’exemple, à cause de douleurs insupportables une femme avait demandé à plusieurs reprises une péridurale à son médecin. Ce dernier excédé, lui a répliqué : « juste à cause de ton comportement, tu ne l’auras pas pour te punir ». Ainsi la femme est-elle infantilisée, juge Ina Tall.

Mais souvent les femmes n’ont pas conscience qu’elles pourraient être mieux traitées, signale-t-on à l’association. Une compilation des témoignages reçus par ‘‘La Vie est Sacrée’’ (que nous ne publions pas, car des noms de soignants sont cités) est édifiante :  les femmes estiment être responsables de tout ce qui leur arrive : la mauvaise humeur du médecin, les pertes de sang, etc. Or, pour Ina Tall, il est important qu’elles sachent qu’elles ne sont en rien responsables. « Elles ont le droit de demander des explications pour tous les actes médicaux, et d’être traitées avec douceur, de réagir et de se plaindre ».

Un problème qui commence à être pris en charge ?

Interrogée, la présidente de l’association des sages-femmes du Mali, Awa Guindo, reconnaît être au courant de ces cas de violences. « Cette situation est en partie liée aux sages-femmes, mais aussi au système ». Depuis les différents témoignages sur les médias, des rencontres sont organisées avec des autorités du milieu pour dégager les problématiques liées à tout ce qui se passe actuellement, soutient Awa Guindo. A cet effet, le ministère de la Santé et des Affaires sociales est impliqué. « Nous allons établir un chronogramme, rencontrer les sages-femmes partout au Mali pour les sensibiliser » détaille Awa Guindo.

Awa Guindo, Présidente de l’association des sages-femmes

Le Dr Amadou Bocoum est gynécologue. « Nous entendons les témoignages de certaines femmes dans la rue et sur les médias. Ces comportements de la part du corps médical sont regrettables et pas professionnels », dit-il. Pour sa part le Dr Mouninatou Katilé, présidente de l’Ordre des médecins, reconnait que l’Ordre est interpellé sur ce plan. Cependant, « nous ne recevons jamais de plaintes directes concernant nos membres », regrette-t-elle. En cas de plainte, une commission disciplinaire est mise en place pour écouter les deux parties, et c’est la commission qui statuera sur la sanction à prendre. Il y a aussi d’autres recours : porter plainte dans un commissariat ou à la justice, qui saisiront l’institution médicale.

Il est incompréhensible que le Mali ait l’un des taux de mortalité lors d’accouchement les plus élevés de la sous-région, déplore Ina Tall. Ces pertes de vie pourraient être évitées si le corps médical évoluait dans de meilleures conditions : meilleur cadre de travail, salaires compétitifs et une bonne formation.

Ce n’est pas par vocation que la majorité des sages-femmes rejoignent le métier, estime-t-elle encore, c’est plutôt parce qu’elles ont échoué dans la vie. En plus d’une mauvaise formation, la filière n’est pas valorisée. Les autorités maliennes ont publié récemment la liste d’au moins sept écoles de santé ne disposant d’aucun agrément. Pourtant, elles forment et distribuent des diplômes depuis plusieurs années.

Après son accouchement, une autre femme qui a connu le même centre de santé s’est confiée à Fatou Diaby. « Certaines femmes ont accouché à même le sol, sur du plastique, par manque de lits ; une autre et son bébé ont perdu la vie », relate-t-elle. Les conditions d’hygiène dans les salles d’accouchement laissent souvent à désirer. Mal formées, peu motivées, évoluant dans des conditions exécrables, on ne peut attendre des sages-femmes qu’elles accomplissent correctement leur mission.

Oumar Sankare

Le long calvaire de Fatou

Fatou Diaby

Il y a 4 mois, Fatou Diaby accouchait dans un hôpital de la place dans des conditions terribles, voire inhumaines. « J’ai été la veille à l’hôpital suite à quelques contractions. Ce n’est que le lendemain que je donnerai naissance à mon bébé. Ce laps de temps a été un cauchemar pour moi » dit Fatou, la voix grave. « J’ai reçu une série d’injections pour accélérer le processus d’accouchement, ce que j’estime pas du tout normal » soutient-elle. Après quelques douleurs et des petites marches au sein de l’hôpital, le moment tant attendu arrive. Conduite dans la salle d’accouchement, à 13h, commence son calvaire. « La sage-femme a introduit sa main en moi pour tirer le bébé, soi-disant elle avait sa tête, ce qui était faux et elle m’intimait de pousser pour qu’elle puisse tirer », relate-t-elle. Souffrant d’anémie (qui est un manque de sang et une diminution en concentration de l’hémoglobine du sang), elle s’essouffle rapidement et perd de l’énergie. Au même moment, elle perd du sang et ses habits sont rouges. Entretemps, Fatou demande à boire de l’eau, les douleurs deviennent de plus en plus intenses. « Tais-toi, arrête de parler » lui dit la sage-femme. Constatant que Fatou ne poussait plus, par manque de force, la sage-femme, énervée, la laisse à son sort et va s’asseoir. « Ta sage-femme viendra s’occuper de toi » lui lance-t-elle.  « J’ai dû la supplier les larmes aux yeux de venir s’occuper de moi. J’étais perdue. C’était ma première expérience » dit Fatou. Cette dernière l’a purement et simplement ignorée jusqu’à l’arrivée de la sage-femme qui l’avait suivie tout au long de sa grossesse. En la voyant, la sage-femme titulaire s’écria : « le col est très sec ».

Entre temps, il est 17h, l’heure de la relève et sa sage-femme n’a plus le droit de s’occuper d’elle. De nouvelles personnes interviennent : hommes, femmes et même des stagiaires (sans expériences), tous l’ont « touchée » sans succès, la tête de l’enfant étant retournée à l’intérieur. « Un homme de passage, en blouse, avec un accent étranger -j’apprendrai plus tard qu’il est togolais – leur suggère de m’amener en bloc opératoire. Le bébé et moi étions épuisés. Une des dames crie sur ce médecin, affirmant que j’accoucherais normalement » dit-elle. Après plusieurs tentatives en vain, Fatou supplie les soignants de la conduire au bloc opératoire. La voix rauque, elle éclate en sanglots en racontant cette triste histoire.

Et l’horreur continue… « Plus tard un homme, un interne je pense, s’est installé à califourchon sur moi, postérieur vers mon visage, et commence à appuyer sur mon ventre, pendant que de l’autre côté une stagiaire, les mains en moi, tire la tête du bébé » dit Fatou Diaby. Sans résultat. Celui qui a suggéré de la conduire au bloc opératoire revient à la charge : « On va perdre la mère et le bébé si vous ne la conduisez pas au bloc ».  La réponse, virulente : « on n’en a rien à foutre, elle accouchera ici ». Puis le docteur est revenu avec une chaise roulante, jetant à l’assistance : « J’assumerai tout ce qui adviendra ».

Oumar Sankaré