Maimouna Traoré, une pionnière de la presse féminine au Mali.

Des femmes qui dirigent des organes de presse féminine, il y en a bien sûr au Mali, mais force est de constater qu’il n’en existe pas beaucoup. La presse féminine malienne n’est malheureusement pas assez au centre des discussions lorsqu’on parle de journalisme. C’est dans les années 90 qu’une presse spécifiquement féminine voit le jour au Mali. Et ceci grâce à l’audace et au courage des premières femmes journalistes ayant lancé des publications pour promouvoir les femmes. Cet article est l’occasion d’échanger sur le sujet avec la journaliste Maimouna Traoré, promotrice de Nyeleni Magazine, un hebdomadaire féminin qui existe depuis 30 ans.

Maimouna Traoré partie de la première génération de maliennes à embrasser la presse écrite privée. Journaliste, communicante, mère et l’une des rares femme, promotrice et directrice de publication d’un magazine féminin au Mali, voici pour vous cher lectorat la womanager story de Maimouna Traoré.

 

Vous vous présenter à notre lectorat ?

Je suis née à Bamako, en août 1957, j’ai grandi dans le quartier de Médina-Coura. J’ai fréquenté l’école primaire de l’IPEG (Institut pédagogique de l’enseignement général), ensuite le groupement scolaire de Missira et le Lycée de jeunes filles de Bamako (actuelle Lycée Ba Aminata, qui fut notre directrice). J’ai eu le Baccalauréat (BAC), première partie lettre en 1979 et deuxième partie série philo-langues en 1982 (après deux ans de fermeture des écoles pour raison de grève, sous Moussa Traoré). Après le BAC, l’Union des femmes soviétiques avait offert des bourses à l’Union nationale des femmes du Mali, j’étais parmi les dix filles qui ont bénéficié de cette bourse. J’ai fait le journalisme dans la Faculté internationale de journalisme de 1982 à 1988 en Biélorussie (Ex-Union Soviétique), d’où j’ai obtenu un « Master of Art in journalism » (DEA- Diplôme d’Études approfondies en journalisme).

De retour au pays, j’ai travaillé dans deux organes que sont « AURORE » et « NYELENI Magazine ». J’ai été la journaliste de l’ONG World Vision International à Bamako de 1995-1996. Correspondante de presse du Système francophone d’information agricole (SYFIA) au Mali et au Tchad de 1996 à 2003. Au Tchad, où, j’ai regagné mon mari (Médecin ophtalmologique) et là, j’ai travaillé́ dans le journal « Observateur » comme Coordinatrice de la rédaction de 1997 à 1998. Secrétaire de rédaction et présentatrice du journal parlé à la Radio «FM Liberté́ », une radio créée par un réseau de défenseurs des droits de l’Homme. Assistante du président de l’Association « Jeunesse anti-clivage ».

Du Tchad, je suis allée travailler aux Nations Unies, d’abord au Burundi de 2005 à 2011 (au PNUD et dans la Mission de maintien de la paix), ensuite en République démocratique du Congo (RDC) de 2011 à 2013.

 Depuis 2014, je suis revenue à mes premiers amours, faire la promotion et la défense des droits de la femme à travers « NYELENI Magazine » mensuel et hebdo et sur le site web : nyelenimagazine.org. Il n’est jamais tard, pour se former, j’ai eu un Certificat d’études avancées en Genre et Développement de l’Institut des Hautes Études internationales et du Développement de Genève (Suisse) de 2017 à 2018. Actuellement, je fais des consultations. Je suis mariée, mère de six filles dont trois adoptives.

 

Comment l’aventure NYELENI Magazine a-t-elle commencé ? Ligne éditoriale, cible….

Je suis revenue des études en 1988, j’étais spécialisée en audiovisuel, alors j’ai fait un long stage de 18 mois à l’office radio et télévision du Mali (ORTM). En ce moment, il fallait passer par le concours d’entrée à la fonction publique et faire le service national des jeunes. Le concours ne concernait pas tous les corps de métiers à chaque fois. J’ai attendu longtemps, mais en février 1990, avec deux autres jeunes diplômés comme moi, nous avons créé le journal hebdomadaire d’informations générales « Aurore ». Un organe qui, après « Les Échos » créé en 1989, par la coopérative « Jamana », deviendra le deuxième journal privé du Mali, mais le premier créé́ par de jeunes diplômés. En 1990, si vous, vous rappelez, la presse a été le fer de lance de la démocratisation du Mali.

Je suis devenue ainsi, la première malienne à avoir embrassé́ la presse écrite privée juste après l’université. J’ai été successivement, Rédactrice en chef adjointe et de Directrice déléguée dudit journal. En ces temps-là, c’étaient les sujets politiques qui faisaient vendre les journaux, surtout qu’après ces deux organes cités, d’autres ont vu le jour. Moi, je n’étais pas du tout satisfaite de la couverture des activités qui concernaient les femmes et leur promotion. C’est ce qui m’a poussé à créer en août 1992, « NYELENI Magazine », qui traite les questions de Femme, Environnement et Développement. Son objectif, mieux défendre les droits des femmes et valoriser le travail qu’elles font et qui contribue quotidiennement au développement du pays.

 La thématique de l’environnement y est, parce qu’après, avoir assisté au Forum des ONG, lors du Sommet de la terre au Brésil en 1992, j’ai compris combien le rôle des femmes était important dans la protection de l’environnement. Le choix du titre n’est pas fortuit, il est tiré du patrimoine bamanan. Nieleni ou Gneleni était la championne des travaux champêtres, dans la protection de l’environnement. On dit même qu’elle est à la base de la vulgarisation de la culture du fonio. En donnant ce titre au magazine, c’est une façon de montrer que la femme malienne se bat depuis longtemps pour son autonomisation. J’ai mis exprès en 1992 et expliqué dans le premier édito, que je mettais un Y à la place du I de Nieleni, pour faire la différence entre le prénom habituel et le magazine. Mais finalement, c’est NYELENI (avec Y) qui est devenu la meilleure orthographe.

 

Vous est-il arrivé d’aborder des sujets sensibles à votre époque ? Si oui, comment les avez-vous traités ?

C’était au début de la démocratisation, on se permettait tout, avec l’idée du changement, les gens ne voyaient que les cas de diffamation. Et puis, on peut traiter un sujet tabou sans fâcher. Il faut savoir comment l’aborder. Un des sujets tabous dans les années 1990, ne pouvait être que l’excision, mais nous n’avons pas eu de problèmes. Nous avons parlé de la prostitution, de l’homosexualité, de la polygamie etc.

 

 

La place de la femme (malienne) dans la presse : quelles sont les évolutions faites de vos débuts à nos jours ? Votre regard sur la place de la femme dans la presse écrite ?

 La physionomie de la presse a aujourd’hui changé, si on avait au départ de la presse privée, une dizaine, à commencer par moi-même, Ramata Dia, Diallo Aoua Traoré, Maïmouna Danioko, Oumou Ahmar Traoré, Macoro Camara, Fanta Boiré, Maïmouna Doumbia. Aujourd’hui, c’est plus d’une centaine de femme dans la presse écrite (papier) et en ligne.

Avant, s’il y avait moins de femmes propriétaires d’organes de presse, aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Beaucoup de femmes journalistes ont compris que dans ce domaine aussi, il faut avoir son autonomie, pour pouvoir s’exprimer librement et donner la parole à celles qui sont exclues du grand débat. Je félicite vraiment la nouvelle génération de femmes journalistes, elles se battantes vraiment et sont pour la plupart, douées dans les nouvelles technologies de l’information.

 

 Quels sont vos défis en tant que directrice de publication du premier magazine féminin (écrit).

Une précision, ce n’est pas le premier magazine féminin, il y a eu d’abord « Finzan » avec Ramata Dia, mais qui n’a pas duré. NYELENI est le deuxième, qui malgré les difficultés continues. On a l’impression que les Maliens lisent, surtout les Maliennes, en réalité depuis quelques années, les gens préfèrent suivre les revues de presse, qui sont plus axées sur la politique et les faits divers. Le magazine coûte un peu cher et un exemplaire est toujours lu par plusieurs personnes. On n’est pas encore arrivé au stade « Un malien, un journal ».

 

Quelle est votre plus grande frustration à propos de la presse au Mali (de manière générale) ?

Il y a trop d’associations, souvent des affinités qui frustrent les autres. La presse est à l’image de ce qui se passe dans le pays depuis des décennies. La course pour l’argent, des employés mal payés. Ces derniers se contentent de cela, d’abord parce que, certains ne sont pas bien formés pour le travail ou parce qu’ils sont là en attendant de trouver mieux. Il y en a, qui après, un ou deux ans dans un organe, partent créer aussi leurs journaux. Imaginez la suite, pour conquérir le marché des annonces et publicités ? Là aussi, c’est un autre problème, un marché verrouillé. Il y a aussi, le non-paiement de l’aide à la presse, comme vous le savez, la crise sécuritaire, plus la pandémie de la maladie à Coronavirus, la presse vit des moments très difficiles. Tout cela n’est pas encourageant, surtout quand ceux qui sont en règle par rapport à l’État (Impôt, INPS et autres), ne gagnent pas les bons contrats de partenariat, c’est pour cela que j’ai parlé d’affinités.

L’impression des journaux coûte toujours chère au Mali, la presse n’a pas son réseau de distribution, pour pouvoir facilement couvrir tout le pays. Seuls les organes qui ont assez de moyens peuvent couvrir tout le pays aujourd’hui.

 

Quelles sont les leçons apprises et les perspectives ?

J’ai compris que pour créer un organe de presse, il faut avoir assez de moyens financiers et des équipements, pour tenir quelques mois. Faire une bonne étude de faisabilité, mettre en place son propre réseau de distribution et avoir des annonceurs.

Ce que je veux, c’est avoir une équipe plus dynamique, professionnelle et pouvoir un jour distribuer gratuitement NYELENI. Je remercie Womanager pour l’interview.